L'art slave chrétien dans les Balkans s'est formé au cours des XIème et XIIème siècles. Il a pris naissance dans les centres littéraires les plus anciens où existaient des manuscrits glagolitiques et cyrilliques portant une ornementation que l'on retrouve dans les siècles suivants, non particulièrement perfectionnée, dans les manuscrits de tous les Slaves des Balkans. La miniature slave balkanique la plus ancienne, naïve, fantastique et profondément conservatrice, s'est maintenue le plus longtemps dans les écritoires des monastères macédoniens. Dans la deuxième moitié du XIIeme siècle, les Serbes ont commencé à se détacher de cet art commun et ils ont introduit dans l'ornementation surannée et arriérée au point de vue technique des manuscrits des Slaves des Balkans des éléments nouveaux, romans et orientaux. Aujourd'hui, nous ne connaissons pas très bien la période la plus ancienne de l'histoire de la miniature serbe, mais, à en juger d'après quelques manuscrits postérieurs, dans lesquels sont copiés de très anciens modèles, tout donne à supposer que dans la partie sud du littoral adriatique oriental, il existait déjà, aux Xème et XIeme siècles, plusieurs petits centres où l'on reproduisait des initiales latines et grecques des écritoires de Capoue pour orner les textes latins, glagolitiques et cyrilliques qui étaient alors employés dans le Royaume de Douklia (Dioclia).
Evangile du Prince Miroslav, parchemin, XIIème siècle. Musée des Beaux-Arts, Belgrade, f. 98r
Les rapports culturels et politiques entretenus avec les pays éloignés ont eu une influence favorable sur le développement de la miniature serbe ancienne. Par le littoral de Douklia et l'Italie du sud, des éléments occidentaux on été apportés; d'autre part, les voyages en Terre Sainte permettaient de maintenir un vif contact avec l'Orient, avec ses moines et surtout avec l'art de la Syrie et de la Palestine. Ces deux influences se sont clairement manifestées dans les miniatures des deux plus beaux manuscrits serbes de la période ancienne, l'Evangile de Miroslav et l'Evangile de Prizren, se distinguant, le premier, comme un représentant des influences occidentales, le second comme un porteur des influences orientales. Et jamais plus tard, ni l'Orient, ni l'Occident n'ont pu apparaître dans l'art serbe dans une forme aussi originale que dans ces manuscrits élaborés dans les siècles d'apprentissage.
Evangile de Prizren, sur parchemin, XIIIème siècle, Bibliothèque nationale de Belgrade, No. 297; brûlé en avril 1941. Planche VIII Evangile de Prizren, f. 60
Après la première phase de l'art primitif, une brusque interruption et un changement se produisent. Vers 1250—60, les maîtres serbes abandonnent l'ornementation dessinée, arriérée au point de vue de la technique, chaotique et surannée pour adopter les formes plus sensibles, plus parfaites et plus organisées d'une peinture de miniature plus développée. En moins d'un demi-siècle, de la soixantième année du XIIIème siècle au début du XlV'ème, sous la forte influence de la miniature byzantine, une transformation complète de la miniature serbe s'effectue. Les manuscrits serbes les plus riches et possédant les plus belles enluminures apparaissent entre 1500 et 1459. La renaissance des Paléologues, dernier essai byzantin de rénovation, a eu un écho profond dans l'art serbe. Les Serbes, déjà formés culturellement, étaient en mesure, par leurs classes cultivées, de participer à ce mouvement, d'autant plus qu'ils possédaient eux-mêmes dans leurs bibliothèques des manuscrits grecs de grande ancienneté avec de superbes miniatures. Le Dioscorides de la Bibliothèque nationale de Vienne se trouvait dans la Bibliotèque de l'hôpital de Constantinople du roi serbe Milutin. De tels manuscrits et d'autres similaires
ont pu influencer la formation d'une direction classicistique dans la peinture des miniatures serbes du XIVème siècle.
Evangéliste Saint-Luc, miniature exécutée par Maître Radoslav provenant d'un Evangéliaire serbe datant de 1429, conservé à la Bibliothèque publique Saltikov — Tchedrine de Leningrad.
Cet art des classes esthétiquement plus avancées était limité au cercle étroit de la cour du souverain, de la haute noblesse et du clergé. C'est dans ce milieu qu'apparut le célèbre Psautier serbe de Munich, le plus large monument de la peinture serbe de miniature des dernières années du XIVeme siècle. Au début de ce siècle, la miniature de ce type dépend encore fortement des modèles byzantins; plus tard, dans son milieu, les miniaturistes serbes créent une variante spéciale et indépendante de leur style.
Psautier de Munich, f. 181v
Les miniatures serbes montrent un dessein plus précis, de plus forts contrastes du clair-obscur, un coloris plus intense. Les miniatures grecques, par rapport aux miniatures serbes, sont plus finement dessinées, ont plus d'effet par la forme et la coloris, mais sont sans expression plus forte de la vie intérieure de ceux qui y sont représentés. La période moyenne des miniatures serbes anciennes se distingue particulièrement par une riche diversité. Outre la miniature classicistique qui a été surtout soignée dans les écritoires des cours, il existait aussi des genres plus simples de la peinture de miniature. Des miniatures de type conservateur avec une ornementation macédonienne étaient faites dans les monastères de Macédoine où, depuis le début du XIVème siècle, étaient aussi écrits des textes de rédaction serbe. Les copistes de Bosnie des XIVème et XVème siècles s'attachaient aux formes traditionnelles de la miniature d'origine romane. Dans le développement ultérieur de la miniature serbe, sont surtout importants les manuscrits des XIIIème, XIVème et XVème siècles, possédant des ornements peints sans figures humaines. Ils comprennent deux variantes très marquées: les plus anciens n'ont pas des éléments islamiques tandis que les ultérieurs en possèdent abondamment. Les miniatures de contenu laïque ont été conservées, dans l'art serbe de la période moyenne, dans les manuscrits des traductions serbes de l'Alexandride du Pseudo-Kallisthenes et en tête d'une charte du Despote Georges Branković au Monastère d'Esphigménou.
Les miniatures serbes de la période turque sont les plus nombreuses. Elles ont fait leur apparition dans les siècles d'esclavage, de 1459 à la fin du XVIIème siècle. Dans leur ensemble, elles offrent une image assez monotone d'uniformité où se distinguent de rares exceptions. La technique et le style de la miniature de la période turque reviennent graduellement au niveau des ornements des manuscrits les plus anciens.
Ce processus se déroule lentement, et dans les décades de paix apparaissent des manuscrits richement ornés qui renouvellent les traditions des écoles précédentes du temps de l'indépendance politique. Le nombre important des manuscrits conservés offre la possibilité de classer les miniatures de la période turque d'après les écoles locales. Les régions principales des centres de copistes qui soignaient les miniatures au XVlème et XVIIème siècles peuvent être assez exactement délimitées. Les environs de Kumanovo et de Kratovo ont eu des copistes qui écrivaient des textes et faisaient des miniatures pour des livres de rédaction serbe, bulgare et, plus tard, moldo-valaque. En Serbie du nord, on conservait surtout les traditions de l'école ancienne de Resava dans les manuscrits des monastères d'Ovčar et Kablar. De nouveaux ateliers de copistes apparaissent aussi dans la Fruška Gora et en Slavonie. Après la restauration de la Patriarchie de Peć, en 1557, on fonda dans les régions serbes du centre et à l'ouest et au sud de ces régions, en Bosnie, Sandjak et au Monténégro, une série de ces centres de copistes. Dans cette période, les tétraévangiles et les psautiers se rangent parmi les livres les plus illustrés. Les inscriptions et les signatures des artistes dans les manuscrits de ce groupe offrent des données intéressantes sur les noms, les écoles et les origines des miniaturistes et sur leur façon de vivre et de travailler.
L'insistance à s'en tenir aux traditions, constatée aussi aux XVIème et XVIIème siècles, correspond tout-à-fait au milieu monacal conservateur où l'art de la miniature a fleuri le plus longtemps. Le manuscrit serbe illustré de Cosmas l'Indicopleustès, de 1649, montre le mieux combien les manuscrits de grande ancienneté ont servi de modèle aux copistes et enlumineurs serbes de plus tard. Cet important manuscrit serbe enluminé se place à la fin du développement qui, dans le cadre de l'histoire de l'art serbe, a duré plus de cinq siècles et demi.
Belgrade 1950.