ICÔNES DE SERBIE ET DE MACÉDOINE

par Svetozar Radojčić

L'HISTOIRE de la fresque et de la miniature médiévales des Balkans peut facilement être divisée en écoles nationales. La miniature, qui est fixée à un texte, ou la fresque qui l'est au mur d'une église, trouvent toujours leur place dans l'histoire nationale, même si elles peuvent présenter des degrés divers d'originalité par rapport au modèle byzantin. Mais il est bien plus compliqué de classer les icônes. Les exemplaires comportant des inscriptions slaves peuvent, certes, se classer aisément grâce à leurs caractéristiques linguistiques. Cependant, la majeure partie des icônes porte obligatoirement des inscriptions grecques, que le peintre ait été grec ou slave. Aussi, le texte figurant sur une icône ne peut-il pas servir de critérium pour déterminer la nationalité de l'artiste. En outre, le problème complexe de la détermination d'écoles nationales dans le cadre de l'art byzantin est encore compliqué du fait que les pays serbes et macédoniens ont souvent importé des icônes de maîtres grecs. La riche polyphonie de la peinture des Byzantins a, certes, offert aux jeunes peuples de l'époque un vaste choix de modèles. Le choix que ces peuples en font, et, plus tard, certaines tendances définitivement fixées dans ce choix, permettent de déterminer les directions que suivent des arts nationaux nouveaux.
Ces écoles locales ou nationales ont su, cependant, dans le cadre de la peinture internationale byzantine, se faire attribuer une place des plus enviables. Même s'il serait difficile de mettre en doute, surtout au cours des dernières années, le rôle de Constantinople en tant que centre dominant de l'ensemble de l'art byzantin, il faut, cependant reconnaître que des idées souvent dans la capitale ont trouvé en province et dans ces écoles nationales des caractères spécifiques que personne ne saurait sousestimer et classer comme des provincialismes.
Du point de vue artistique, dès la fin du XIIe siècle, les régions serbes et macédoniennes forment déjà un ensemble homogène. Avant que, vers la fin du XIIIe siècle, les Serbes descendent vers le Sud, l'art byzantin avait déjà commencé à monter vers le Nord, le plus souvent par la Macédoine, pour toucher les pays serbes. Aussi, à partir des dernières années du XIIIe siècle, commence une histoire de l'art commune aux Serbes et aux Macédoniens. Les mêmes artistes qui ont peint vers 1295 dans la Macédoine byzantine apparaissent, en effet, vers 1310 dans la Serbie médiévale. L'une des artères principales de l'art byzantin se trace très nettement alors sur la ligne Salonique—Ohrid—Macédoine du Nord—Kosovo—vallée de la Morava. Pendant plus d'un siècle et demi on peut suivre, sur cette ligne, la circulation intense des artistes. Les premières impulsions furent données, certes, à cette longue et vieille voie, par Constantinople et Salonique, mais néanmoins les formes architecturales et toutes les branches de la peinture, en avançant vers le Nord, ont-elles eu à s'adapter de plus en plus à des paysages nouveaux et au caractère slave; et cet art si expansif, si harmonieux et si dynamique, a continué sa vie errante même après la catastrophe qui a emporté les états chrétiens des Balkans.
En se dirigeant vers le Nord, cette branche de l'art byzantin est entrée en contact, dans les pays serbes, avec l'art roman et gothique des côtes orientales de l'Adriatique et de l'Europe Centrale. Donc, de par sa seule situation géographique, la vieille peinture serbe jouissait des meilleures conditions pour la naissance d'une école nationale, alors que les régions macédoniennes, trop proches du noyeau byzantin, resteront une zone intermédiaire comportant une grande richesse de tendances diverses, certes, mais qui n'arriveront jamais à se rendre indépendantes. Cependant, ce ne sont pas seulement les conditions géographiques qui sont à l'origine du développement de l'art médiéval serbe; des forces bien plus complexes et plus profondes lui ont imposé un certain rythme de développement, aussi bien qu'un style nouveau. La vieille littérature serbe ainsi que la vie monacale en Serbie médiévale ne ressemblaient qu'en apparence à leurs modèles byzantins; en fait, l'une comme l'autre, elles avaient leurs contenus propres. Les »Vies de Souverains« de la littérature serbe médiévale, en dépit de toutes les références aux textes grecs, décrivent la figure particulière du souverain idéal — et de l'homme — dans laquelle on trouve, harmonieusement liées, les qualités du saint et celles du chevalier. Et même dans les hagiographies des saints archevêques, on insiste sur leurs qualités de vaillants guerriers. Les caractères et les tempéraments de ces hommes qui avaient entre leurs mains le destin du vieil art serbe étaient fondamentalement différents de ceux des Grecs. Et de ces contrastes fondamentaux sont parties toutes les différences, comme tous les désaccords, entre l'art serbe et byzantin. Les créateurs du vieil art serbe ne pouvaient pas, au cours des premières étapes, se créer une expression artistique propre; il n'en ont pas moins été, cependant, capables de choisir les modèles qui répondaient le mieux à leur caractère. Dans cette liberté de choix très sûre, on voit déjà l'esprit pratique des Serbes qui commandent ces oeuvres et leur intérêt spontanné pour le genre artistique qu'ils comprennent le mieux. Grâce à ce choix, qui, en fait, dénote une certaine sincérité envers soi-même, les modèles byzantins se sont rapidement fondus, au contact du milieu serbe, dans des formes nouvelles d'un art national.
Le rythme de la réception et de la transformation dépendent surtout des changements importants qui s'opéraient dans l'art-mère. C'est presque avec une régularité mathématique que se reproduit le même processus : une nouvelle tendance artistique de Constantinople ou de Salonique passe en Serbie par l'intermédiaire des Grecs ou de leurs disciples; la nouvelle tendance prend alors peu à peu un caractère serbe et continue sa vie en toute indépendance sans aucune stagnation. Quand arrive la vague suivante de tendances nouvelles, les premiers pas sont de nouveau les travaux de quelques Grecs, si bien que le fil du développement continue sans interruption. Dans ce processus un rôle particulièrement important revient à l'icône. Elle est, en effet, l'expression la plus noble de l'art byzantin et, en même temps, elle représente les qualités artistiques les plus hautes tout en étant le premier messager des nouvelles tendances artistiques byzantines dans les régions frontalières lointaines.
Le nombre des icônes découvertes au cours de ces dernières années dans les églises de Serbie et de Macédoine est tellement grand aujourd'hui qu'on sent déjà maintenant le besoin de les publier. Qu'elles soient des oeuvres d'artistes grecs ou d'artistes locaux, elles appartiennent de toutes façons à l'histoire de l'icône en Serbie et en Macédoine. Et les chefs-d'oeuvre originaires de Constantinople ou de Salonique qui, au cours des XIIIe et XIVe siècles, sont arrivés jusque dans nos églises et dans nos monastères ont eu un rôle tellement important dans la formation d'un art local auquel ils servaient de modèles, qu'on ne saurait plus les séparer de ce milieu auquel ils appartenaient pendant des siècles. Tout comme la Vierge de Vladimir, oeuvre d'un artiste byzantin, appartient à l'art russe, l'Annonciation d'Ohrid, certainement d'origine byzantine elle aussi, appartient à l'art macédonien et serbe où elle représente l'expression artistique la plus parfaite des tendances qui ont inspiré les artistes de Milutin en peignant dans les églises royales de Serbie et de Macédoine.
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Ochrid, Musée Natonal, L'Annonciation, début du XIVe siècle

La peinture des icônes serbes et macédoniennes peut être suivie pendant des siècles; elle forme un fil ininterrompu qui va du XIIe au XVIIIe siècles. Si l'on voulait écrire en détail l'histoire de notre icône dans toute la richesse de ses variantes et dans ses particularités iconographiques, il faudrait publier des centaines de reproductions pour l'illustrer. Ici, nous nous bornerons à présenter un choix des pièces qui, tout en étant à la hauteur du point de vue artistique, offrent, des données intéressantes sur la conception fondamentale, et étrangement établie, de l'icône dans le milieu serbe et macédonien.
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Ochrid, Musée Natonal, L'Annonciation, début du XIVe siècle détail

Certes, les différentes formes de piété ont eu leur influence sur le style et le contenu des icônes. On a l'habitude, en général, de prendre l'icônе russe comme l'icône-type, si bien que l'on finit par reporter sur des chefs-d'oeuvre plus anciens des particularités propres à une peinture d'icônes russe plus récente. C'est grâce aux icônes russes des XVIe et XVIIe siècles que s'est formée la légende moderne du caractère essentiellement mystique de l'icône orientale. Les précieuses pièces, publiées récemment, de la galerie d'icônes la plus riche du monastère Sainte Catherine du Sinaï et les icônes des monastères de Serbie et de Macédoine montrent d'une manière tout à fait convaincante que l'icône, qui tire sa véritable, et directe, origine de l'art antique, a gardé jusqu'aux débuts du XVe siècle, les caractères essentiels de la peinture antique. Aussi bien par leurs thèmes, que par leur exécution précise, les vieilles icônes ne s'écartent guère des conceptions classiques. En tant que représentations de la Divinité et en tant que sources de puissances miraculeuses, les icônes font penser aux représentations des Dieux de l'Olympe; et, pour ce qui est de leur exécution artistique, particulièrement au XIVe siècle, les icônes encore apparaissent comme les représentants les plus nobles du classicisme byzantin. Alors que, jusqu'à la chute de Constantinople, il existait une unité de l'art chrétien, en Orient la peinture d'icônes serbe et macédonienne s'en tient aux thèmes habituels.
L'icône est alors ou bien une peinture représentative ou bien un portrait modeste d'un personnage saint, ou bien encore l'illustration d'un événement; plus rarement, l'icône explique des thèmes complexes en prenant des motifs des peintures de miniatures ou de peintures murales.
Dans la période artistique post-byzantine, la peinture d'icônes serbe et macédonienne se sépare nettement de l'art des maîtres italianisés en refusant tout élément étranger venant de l'Occident. En se tenant fermement à la tradition, les artistes serbes et macédoniens des XVIe et XVIIe siècles cultivent, dans un milieu presque exclusivement redevenu paysan, une iconographie qui souvent surprend par ses hautes qualités. Les échos lointains de la fine iconographie russe n'apparaissent que chez les meilleurs peintres serbes vers la fin du XVIe siècle. La fondation de la Patriarchie de Peć en 1557 éclate comme un feu d'artifice dans la nuit turque avec quelques artistes pleins de talent, réalistes étranges et fanatiques en même temps, comme Đorđe Mitrofanović, Jovan, Longin, Andrija Raičević, qui ont tenté d'utiliser leurs talents jusqu'au bout aussi bien comme peintres et comme écrivains et qui sont ainsi à l'origine d'une extraordinaire Renaissance en pleine occupation turque. Après la déroute de l'intervention des armées chrétiennes dans les Balkans (1690), on voit les rangs des anciens représentants artistiques se faire de plus en plus clairs. Les iconographes émigrés sur les territoires de la future Voïvodine se sont trouvés dans un milieu nouveau pour eux. Les moins doués ont continué leur travail d'une manière artisanale, en peignant des icônes naïves pour les paysans. Ceux qui avaient des ambitions plus hautes ont rompu définitivement avec la peinture traditionnelle et sont allés à l'école des maîtres occidentaux. Et le même phénomène étrange qui s'était manifesté au XIIe siècle lors de l'acceptation de l'art byzantin, se reproduit au XVIIe siècle: des hommes, sortant d'un milieu primitif, élevés dans les traditions d'une peinture vieillie, montrent de nouveau une faculté étrange d'adaptation et de transformation. Les plus doués des peintres serbes du XVIIIe siècle entrent d'un pas sûr dans les finesses des styles de la fin du baroque et du rococo, tout en gardant audacieusement jusque dans cette peinture nouvelle toute la dernière beauté, vivement présentée et gardée en entier, du vieil art. Et Kračun, comme autrefois un Greco, fond, ainsi, spontannément l'icône dans un style nouveau, atteignant la vieille beauté avec des moyens nouveaux. Ce n'est que dans des moments exceptionnels de grands bouleversements, alors que les oppositions entre générations ne s'unissent pas dans l'artiste, mais que se heurtent des conceptions opposées pendant des siècles de systèmes esthétiques, que quelques talents choisis arrivent à unir en eux-mêmes les beautés de mondes différents et à en faire un ensemble doué d'un expressionnisme exotique. C'est ce qu'ont fait les grands artistes des métropolites de Karlovci, Kračun et Češljar. Grâce à ces deux grands maîtres, tout ce qui restait de précieux de la vieille iconographie serbe éclate une dernière fois sur les luxueuses iconostases des églises serbes de la fin du XVIIIe siècle.
Les icônes macédoniennes et serbes ne comportent pas de formes primitives propres. Le milieu slave qui, peu à peu, se sépare de la vieille culture primitive, ne commence que vers les débuts du XIIe siècle à être en état de recevoir la peinture byzantine des icônes, formée déjà depuis longtemps. A en juger d'après de modestes dessins plus tardifs que l'on trouve dans les manuscrits serbes et macédoniens, on peut se faire une idée des regards naïfs avec lesquels ont été considérés les modèles byzantins d'avant le XIIe siècle. Les icônes copiées dans l'Évangile de Prizren donne une idée assez juste de la manière dont les copistes cultivés et, dans une certaine mesure, assez bons dessinateurs, ont reproduit tout à fait maladroitement les thèmes compliqués de l'iconographie byzantine.
La Vierge de la Consolation du manuscrit de Prizren montre assez nettement de quelle nature ont été les premiers contacts entre les dessinateurs et les peintres slaves et les originaux byzantins. Les disproportions enfantines que l'on relève chez l'enlumineur de Prizren, son incapacité de donner aux figures un air et une expression humaine, sa tendance naïve à styliser qui fait disparaître les formes anatomiques et les plis des vêtements en une rythmique ordonnée de l'ornementation, tout ceci rappelle des déformations bien plus anciennes des modèles byzantins dans les manuscrits occidentaux du VIIIe siècle. Cependant, dès les premières tentatives de copie d'icones byzantines, on voit apparaître certaines aptitudes qui, par la suite, seront typiques dans le développement de l'iconographie serbe et macédonienne. Des tendances vers un certain réalisme se font jour déjà dans les répliques naïves d'icônes dans les différents manuscrits. Dans cet Évangile de Prizren, l'artiste ne sait pas dessiner exactement les formes anatomiques des corps, mais, avec une ferveur enfantine, il cherche à rendre le rapport intime, naturel, entre mère et enfant; il représente la mère baisant la main de l'enfant et, dans une autre miniature, l'enfant turbulent qui essaie de grimper sur les genoux de la mère; il est déjà intéressé par le motif de »Vzygranïe mladenca«, thème qui, par la suite, se répétera tellement sur les plus belles icônes des monastères de Macédoine.
La première iconographie serbe n'a certainement pas été sans subir la forte influence des premières icônes de grande valeur importées pour les monastères de Stefan Nemanja et de ses fils. L'une d'elle est conservée a Chilandari: elle représente la Vierge Hodigitria, en mosaïque.
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Chilandar, Cathédrale, Vierge Hodigitria, fin du XIIe siècle

Bien que de format moyen, cette représentation solennelle et sévère, aux contours durs et au coloris intense, a en elle toute les particularités de la peinture monumentale murale de la fin du XIIe siècle.
Dans les biographies des premiers Nemanjić on trouve toujours mentionnées, à coté des oeuvres pies des souverains, les icônes de valeur qu'ils ont données aux monastères. Ces chefs-d'oeuvre dus à des artistes étrangers n'ont pu qu'attirer les artistes serbes. Les mêmes maîtres locaux qui s'étaient efforcés, dans les parties secondaires des églises, d'égaler les grands peintres de fresques étrangers, créent les premières icônes dans lesquelles ils font entrer un élément nouveau avec une sensibilité et un talent nouveaux.
Peut-être est-ce la fresque-icône de Studenica de la Vierge Paraklisis, de 1233—34, qui montre le mieux les premières formes de cette peinture d'icône qui, par la suite, s'appellera serbe. La base est byzantine et le type iconographique de cette Vierge était formé depuis longtemps déjà; l'idée du rôle d'intercesseur de la Mère de Dieu était déjà bien définie, et pourtant cette icône de Studenica de la Vierge Paraklisis est nettement différente de ses semblables grecques; on y trouve quelque chose de nouveau dans le dessin clair et simple, dans ce type de femme et mère aux traits expressivement slaves, dans le coloris particulièrement clair et puissant; nouveaux, aussi, sont les éléments essentiellement picturaux, par lesquels coulent les cours changeants des conceptions artistiques et à travers lesquels on sent, dans tout le Fard byzantin, uniquement couler la vie.
Les icônes des débuts du XIIIe siècle sont encore assez rares dans les régions serbes et macédoniennes. Au cours des guerres, des ravages et des pillages, surtout plus tard, sous la domination turque, un grand nombre d'entre elles a dû disparaître. Ce n'est certainement pas par hasard que les plus beaux et les meilleurs exemplaires de la peinture serbe d'icônes se soient conservés en France, en Espagne et en Italie. L'une des plus anciennes de ces icônes serbes du XIIIe siècle, qui représente le visage du Christ sur le »mandylion«, est même arrivée jusque dans le Nord de la France, à Laon, où elle est honorée sous le nom »La Sainte Face de Laon«.
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»La Sainte Face de Laon«

Combien il a du y en avoir de ces icônes dans les familles nobles de la Serbie du XIIIe siècle, le trésor de la reine Beloslava, femme de l'ancien roi Vladislav, nous en donne une idée. Dans un document qui a été dressé en juillet 1281, on compte plus de vingt icônes; les descriptions qui accompagnent cette énumération montrent que déjà dans cette première galerie serbe connue, il y avait des icônes considérées déjà à cette époque comme anciennes (»ycona vetus«); quelques-unes des icônes de cette collection étaient ornées de pièces d'argent, de pierres précieuses et de perles ; en plus de ces icônes, on mentionne encore dans ce catalogue une staurothèque et un relief de la Vierge en os, ou en ivoire (?). Plus tard encore, les membres de la famille des Nemanjić restent souvent amateurs d'art. Dans la biographie du roi Dragutin, on mentionne qu'il avait à sa cour un atelier dans lequel étaient fabriqués des objets précieux pour les besoins de sa maison, des églises et, surtout, à être donnés en cadeau. C'est sans doute dans cet atelier qu'a vu le jour l'icône serbe des apôtres Pierre et Paul, de la fin du ХIIIe siècle, qui se trouve actuellement au Museo Sacro du Vatican.
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Vatican, Trésor de St. Pierre, Sts. Pierre et Paul, dernières années du XIIIe siècle

A partir des dernières années du XIIIe siècle, les icônes sont déjà tellement nombreuses dans les églises serbes et macédoniennes, que, même les catastrophes qui surviennent à partir des années soixante-dix du XIVe siècle n'arrivent plus à les détruire toutes.
De la seconde moitié du XIIIe siècle, il nous reste quelques icônes monumentales d'Ohrid. Parmi elles on remarque particulièrement de grandes icônes de l'iconostase représentant le Christ et la Vierge, des années soixante du XIIIe siècle, peintes aux frais de l'archevêque d'Ohrid, Constantin Kabasilas, une grande Annonciation sur deux panneaux; une sévère Vierge Hodigitria (avec une icône de la Crucifixion au dos) et une icône en pied parfaitement conservée représentant l'apôtre Mathieu.
Depuis 1909, quand N. P. Kondakov a, pour la première fois, publié une partie des icônes d'Ohrid, celles-ci sont souvent mentionnées dans les ouvrages spécialisés. Après la restauration de certaines d'entre elles et de nouvelles découvertes faites dans le domaine de la peinture d'Ohrid, certains auteurs ont avancé des opinions, nouvelles sur ces icônes d'Ohrid, opinions qui ont donné lieu à de vives discussions et à un certain nombre d'hypothèses à leur sujet. Comme même aujourd'hui quelques-unes des plus belles des icônes d'Ohrid n'ont pas encore été nettoyées, aucun jugement porté à leur sujet ne peut être considéré comme définitif.
On peut parler avec plus de sûreté seulement des exemplaires qui ont passé entre les mains des restaurateurs.
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Ochrid, Musée Natonal, Crucifixion, fin du XIIIe siècle

Celle qui cadre le mieux dans les pièces déjà connues est la Vierge Hodigitria d'Ohrid, avec la Crucifixion à l'envers. Cette Crucifixion aide particulièrement à dater cette icône des environs de 1260. La haute valeur des qualités artistiques attribuée à cette pièce dite »Vieille Crucifixion« s'est avérée, après restauration, quelque peu exagérée. On sent que cette icône a été peinte d'après un modèle aux plus hautes qualités, mais dans le dessin et dans le modelage on retrouve trop souvent des solutions semblables. Ce n'est qu'au premier coup d'oeil que cette icône impressionne par une certaine sûreté de conception. Les deux faces sont dues au même peintre. On remarque sur la première face un certain contraste entre le visage allongé, sévère et sec de la mère et celui de l'enfant, rond, plein et doux, contraste qui est utilisé jusqu'au bout. Certes, la Crucifixion a été composée d'une manière sûre et monumentale, mais quand on regarde les détails avec plus d'attention, on remarque un certain nombre de faiblesses, notamment dans les plis des draperies qui sont dures, vides et souvent illogiques. L'icône est certainement plus ancienne que la Vierge Peribleptos, et il serait difficile de l'attribuer au peintre Eutychios que des travaux récents considèrent comme son auteur. C'est par des qualités artistiques plus sûres que se distingue l'icône de l'évangéliste Mathieu. Les formes solides, au modelé puissant, sont composées avec effet. La lumière ne cesse de trembler d'une manière inquiète sur le visage sombre, brûlé par le soleil, de l'apôtre, et elle brille avec vivacité sur le riche drapé; tout est soumis au rythme du mouvement, à la démarche lourde de cette imposante figure; on a l'impression que l'évangéliste passe, plongé dans son livre, devant le spectateur. Le dynamisme, étranger à la peinture des icônes, devait apparaître encore plus puissante dans son ensemble, sur l'ancienne frise d'icônes des quatre évangélistes, ou même de tous les douze apôtres.
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Ohrid, Musée National d'Ohrid, L'évangéliste Mathieu, fin du XIIIe s.

La conception de cette icône dépend largement de celle de la peinture murale, mais son style se relie nettement aux tendances générales de l'art byzantin des dernières années du XIIIe siècle. D'après le type de la tête et la manière de peindre, ce Mathieu d'Ohrid est proche parent des miniatures de l'Évangile grec n° 101 de Leningrad, à ceci près que l'artiste d'Ohrid était manifestement un meilleur peintre. L'attribution de cette icône au peintre Eutychios, le peintre de la fresque de la Vierge Peribleptos est, certes, possible du point de vue chronologique, mais il faut reconnaître, d'autre part, que parmi les nombreuses figures des fresques de cet artiste on n'en trouverait pas une seule qui pourrait, pour ce qui est de la qualité, être comparée à celle de l'icône de Saint Mathieu.
On pourrait plutôt penser que l'artiste anonyme de l'icône de Saint Mathieu d'Ohrid est le premier messager de la phase transitoire du style monumental de la fin du XIIIe siècle, de cette peinture qui, dès 1300, cède la place au classicisme des Paléologues.
Comme représentants de grande valeur des tendances nouvelles de la capitale, on remarque particulièrement deux icônes d'Ohrid: une icône du Christ Sauveur des Ames, et une autre de la Vierge avec le même épithète.
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Ohrid, Musée National, Christ Sauveur, fin du XIIIe s., ou début du XIVe s.

Toutes deux sont peintes sur les deux faces; au dos de celle du Christ on a une Crucifixion, et au dos de celle de la Vierge, une Annonciation. La face et le dos de chacune de ces icônes datent, apparemment, de la même époque, c'est-à-dire des débuts du XIVe siècle. Les cadres d'argent de ces icônes autour des figures du Christ et de la Vierge, font partie des plus beaux travaux d'orfèvrerie byzantine du commencement du XIVe siècle. La figure du Christ est entourée des bustes des douze apôtres, et accompagnée, en grosses lettres de l'inscription: ÏC XC Ό ΨYXOCΩCTΗΣ, ὁ ψυχοσώστης;. Le cadre de l'icône de la Vierge nous est parvenu en meilleur état, mais il a été réparé par endroits. Au-dessus de la Vierge on a un relief avec le Christ Pantokrator. Autour de la figure de la Vierge on a, disposés symétriquement, les bustes des prophètes. Par la suite il a été ajouté, en haut à droite, un médaillon avec Saint Jean Crhysostome. La vierge est désignée comme: MHP ΘY H ΨYXOCΩCTPIA, ἡ ψυχοσώστρια.
Au cours des travaux de conservation, on a pu remarquer que la figure du Christ a été sensiblement retouchée par la suite. Celle de la Vierge, au contraire, nous est parvenue dans son premier état. Kondakov, déjà, en parlant des épithètes du Christ et de la Vierge figurant sur ces icônes, a mentionné qu'il existait à Constantinople un monastère de la Vierge Salvatrice des Âmes (μονὴ τῆς ψυχοσωστρίας). D'après des chartes des monastères du Mont Athos, publiées en 1948 par F. Dölger, on voit que ce monastère de la Vierge Salvatrice des Âmes avait été donné au début du XIVe siècle par l'empereur Andronikos II Paléologue à Grégoire, archevêque d'Ohrid, qui n'est autre que le célèbre prélat qui a fait construire le narthex monumental de Sainte Sophie d'Ohrid. A cette époque, où, dans ce monastère de Constantinople vivait comme administrateur le moine Galaktion d'Ohrid, ces deux icônes de la Vierge et du Christ Sauveurs des Âmes, chefs-d'oeuvre tant du point de vue du style que de la qualité de la peinture byzantine des débuts du XIVe siècle, ont fort bien pu arriver jusqu'à Ohrid.
Au dos de l'une et de l'autre de ces précieuses icônes sont peintes deux scènes: au dos de celle du Christ, une Crucifixion, correcte, mais sans grande invention; au dos de celle de la Vierge, une Annonciation qui appartient aux plus belles créations de l'iconographie byzantine au seuil du XIVe siècle. La composition, en effet, de cette Annonciation a été réalisée avec beaucoup de sens: les figures sont conçues comme des statues debout — dans un espace bien déterminé — sur leurs socles: l'archange sur un grand bloc gris-bleu, la Vierge sur un piédestal double. La perspective et le rythme des masses de ces socles s'harmonisent et se complètent. L'architecture, qui comprend un baldaquin derrière la Vierge et une tour derrière l'archange, reste assez timidement laissée à l'arrière. Dans la construction sévère des éléments décoratifs apparaissent les deux figures : l'archange comme un messager ailé et rapide, la Vierge, paisible, avec un léger geste de refus.
Le jeu habile des contrastes se remarque particulièrement dans l'arrangement des habits brillants de l'archange et ceux, presque tout à fait sombres, de la Vierge. Ce qui est remarquable aussi, c'est la sobriété du coloris; les couleurs qui dominent sont le gris-bleu, le vert-olive, le bleu sombre, le cerise sombre et le gris-vert; les couleurs les plus vives sont pour les objets inanimés: draperies rouges, siège doré, colonne vert vif avec anneaux dorées. La conception quasi sculpturale du travail se manifeste particulièrement dans le traitement presque tactile de la matière. On y voit brillamment soulignée la solidité froide et sonore de la pierre et des métaux et, comme en contraste, la douceur élastique des incarnats. Les visages sombres sont couverts d'une légère ombre; les rouges étouffés des lèvres et des joues laissent à peine entrevoir une vie mystérieuse sous ce ciel imaginairement doré.
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Ohrid, Musée National, Le Baptême du Christ, début du XIVe s.

C'est à ce même style de la peinture byzantine des débuts du XIVe siècle qu'appartiennent les petites icônes d'Ohrid du cycle des grandes fêtes et de la Passion du Christ. Peintes d'un seul côté, et presque toutes du même format, elles ont été assez facilement attribuées au célèbre peintre des fresques de l'église de la Vierge Peribleptos d'Ohrid, le maître Mihailo. Dans la série des grandes fêtes, les icônes qui représentent le Baptême et la Descente aux Enfers sont bien conservées; de celle de la Nativité, il ne reste que la moitié droite. La mieux conservée de cette série est celle de l'Incrédulité de Saint Thomas ; l'icône du Christ amené sous la croix Ἑλκόμενος ἐπὶ σταυροῦ est fortement endommagée. Peut-être seule l'icône de l'Incrédulité de Saint Thomas pourrait être attribuée avec certitude au maître Mihailo; encore faudrait-il supposer qu'il ait de nouveau séjourné bien plus tard, après 1295, dans la région d'Ohrid.
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Ohrid, Musée National d'Ohrid, Thomas l'Incrédule, fin du XIIIe s.

Sévèrement symétrique, aux mouvements mesurés, solennelle et monumentale, cette icône de Thomas l'Incrédule est liée à la peinture murale des débuts du XIVe siècle; formellement fignolée, poussée jusqu'aux plus petits détails, cette peinture garde une certaine solidité résistante propre au premier classicisme des Paléologues; la draperie rouge, jetée par-dessus les éléments architecturaux du fond, symétrique et immobile, joue plutôt le rôle de cadre à son coloris paisible où n'apparaît pas d'accent plus fort.
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Dečani, St. Jean le Précurseur, vers 1350

C'est un tempérament bien plus vif et plus sensible que l'or trouve chez l'auteur de l'icône du Baptême et de celle de la Descente aux Enfers. C'est en particulier, la première de ces icônes qui est la plus caractéristique de son style, et elle dénote une phase plus évoluée de la peinture de l'époque des Paléologues: élan du trait, formes élastiques, brusques effets de couleurs, jeu âpre des ombres et de la lumière; dans le trait libre, on sent la main d'un artisan exercé et cultivé qui a été à bonne école. Dans son ensemble, cette peinture sort déjà des premières formes du classicisme byzantin et tend vers cet expressionnisme dramatique qui atteindra son point culminant déjà vers le milieu du XIVe siècle. L'auteur anonyme de ces icônes d'Ohrid représentant le Baptême et la Descente aux Enfers
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Ohrid, Musée National, La Descente aux Enfers, début du XIVe s.

se distingue des maîtres plus tardifs de la tendance expressionniste par un coloris intense, chaud, dans lequel dominent les accents puissants et vivants du cinabre. Tout à fait modestes, par contre, sont les qualités de l'icône endommagée représentant le Christ sous la Croix. De caractère expressément narratif, avec un assez grand nombre de détails réussis mais perdus dans une prolixité confuse, cette icône fait l'effet d'une miniature aggrandie.
A la même époque, c'est-à-dire au début du XIVe siècle, appartient encore l'icône de Chilandari, entièrement conservée, qui représente Saint Pantéléimon. Fortement influencée par un modèle iconographique traditionel, elle garde un caractère frontal sévère, des modelés âpres et une immobilité solennelle; et, cependant, son coloris doux et finement nuancé et les reflets vivants et brillants imprègnent si intensément cette précieuse petite icône, qu'elle appartient déjà, par son traitement pictural, à l'art de la nouvelle tendance. Le Saint Pantéléimon de Chilandari est manifestement dû à un peintre grec qui continue à se sentir redevable à la tradition et garde un sérieux concentré et presque fatigué qu'il transpose avec un respect craintif d'un vieux prototype.
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Chilandari, Musée, St. Pantélémon, debut du XIVe siècle

Les artistes serbes de la même époque et aux mêmes conceptions artistiques sont, eux, moins liés à la tradition. Tout en respectant les modèles, ils se comportent, cependant, envers eux bien plus librement.
L'icône de la Présentation de la Vierge, du musée de Chilandari, et en particulier le détail des jeunes filles de la suite de la Vierge, montrent le mieux une variante serbe du classicisme des débuts du XIVe siècle dans la peinture d'icones. Et, malgré une dépendance indiscutable des modèles byzantins, l'artiste de Chilandari a réussi à faire entrer dans sa peinture une certaine sérénité nouvelle. Son coloris vif, ses physionomies fraîches et une douce sensibilité donnent à cette peinture un caractère particulier, original, manifeste. Certes, l'expression immédiate est dominante dans cette icône; la manière dont elle est peinte, sûre et claire, n'insiste cependant pas sur les raffinements.
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Chilandari, Muséе, La Présentation de la Vierge, 1310-1320, Jeunes filles de la suite de la Vierge

Une peinture semblable, directe et sensible, on la retrouve sur quelques autres icônes serbes du milieu du XIVe siècle. Les dessins quelque peu rustiques dans le traitement pictural et la plastique naïve des cadres d'argent se remarquent particulièrement sur deux autres icônes d'Ohrid, dont l'une représente la Vierge et l'Enfant, l'autre Saint Nicolas; toutes deux proviennent, peut-être, de l'église Saint Nicolas Bolnički d'Ohrid. Celle de la Vierge est un peu mieux conservée; son dessin dur et peu sûr, surtout dans le drapé, la main et le pied de l'enfant, fait attribuer cette oeuvre à un maître de province, vraisemblablement des environs de Kotor ou de Dubrovnik. L'orfèvrerie gothique a inspiré les motifs des volutes de feuilles, les trois symboles naïfs des évangélistes, les figures, déformées d'une manière enfantine, des prophètes sur le cadre, ainsi que les imitations maladroites des rosettes byzantines écloses; mais tout ceci se fond, sur les cadres de ces icônes, en une broderie vivante propre à un style décoratif transitoire, que l'on connaît déjà par d'autres pièces d'argenterie originaires surtout de Dubrovnik.
Exposés surtout aux influences venant de l'Occident, les peintres d'icônes de la ville principale du littoral serbe, Kotor, sont les auteurs de la collection la mieux conservée d'icônes serbes de la première moitié du XIVe siècle, ensemble qui compose l'iconostase de l'église principale du monastère de Dečani. L'autel de cette église est séparé de la nef par une clôture de marbre, composée d'un parapet simple sur lequel se dressent des colonnettes avec chapiteaux qui portent une architrave plate.

Cette architecture d'une composition sévère comportait trois portes et huit espaces entre colonnettes dans lesquels se trouvaient des icônes étroites et hautes. De ces icônes il nous en reste cinq, qui représentent: le Christ, la Vierge, Saint Jean le Précurseur, Saint Nicolas et l'Archange Gabriel.
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Dečani, La Vierge et le Christ, vers 1350

La mieux conservée est celle de la Vierge Eleousa, qui nous est parvenue presque intacte. Inspiré par les icônes byzantines de la Vierge Eleousa des premières décennies du XIVe siècle, le peintre de cette icône de Dečani s'est cependant sensiblement écarté de ses modèles grecs; c'est ainsi qu'il rapproche les types de la mère et de l'enfant des physionomies de son milieu; son dessin, aussi, est plus solide, son modelé plus aigu et inquiet. Une fresque-icône découverte récemment dans la mosquée Kahrié-djami et représentant la Vierge Eleousa met bien en valeur les différences entre la peinture serbe et celle de Byzance pendant la première moitié du XIVe siècle. Dessinée avec pédanterie, peinte lentement et modelée mollement, cette fresque byzantine de la Vierge Eleousa est presque surchargée par une surabondance compliquée de détails variés. L'artiste serbe de la Vierge Eleousa de Dečani ne s'arrête pas aux raffinements: il peint vite, d'un trait âpre, laissant les grosses formes et les surfaces larges; il parvient ainsi à créer une oeuvre plus fraîche et plus impressionnante que son modèle.
A partir des années vingt, et ceci jusqu'au dernier quart du XIVe siècle, la peinture des icônes serbes et macédoniennes subit un brusque changement: les traditions byzantines, serbes et macédoniennes se fondent en un rythme rapide.
La célèbre icône miraculeuse de Chilandari représentant une Vierge Tricheirousa, peinte sur les deux faces, date à peu près de la même époque que les icônes de Dečani, mais elle s'en écarte par une conception tout à fait différente de la composition et du coloris.
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Chilandari, Vierge Tricheirousa, vers 1360.

Sur la face de l'icône on a une Vierge Hodigitria, froide, solennelle, peinte dans les tons gris-olive; au dos, on a une figure épaisse de Saint Nicolas, très dégrossie et bien liée au type iconographique traditionnel, de nouveau dans des couleurs sobres. Presque monochrome, avec des solutions tonales très riches, cette icône est certainement l'oeuvre d'un artiste des ateliers de peinture de l'Athos.
Ce sont des artistes grecs aussi qui peignent entre 1367 et 1384, l'icône serbe la plus précieuse qui nous reste: les deux ailes du reliquaire du despote Toma Preljubović, qui se trouve actuellement en Espagne, dans la cathédrale de Cuenca. Le luxueux cadre en argent est parsemé de perles. Sur chacune des ailes on a au milieu, une figure debout, à gаuche la Vierge avec un portrait de Marie Césaresse, en miniature, à droite le Christ, avec le portrait du despote Toma. Autour des parties centrales de chacun des battants, on a les portraits des saints dont les reliques se trouvent dans un creux rectangulaire recouvert de cristal et entouré de perles. Ce reliquaire renferme des reliques provenant de vingt-huit saints. Bien que ce riche diptyque ait été fait pour abriter les reliques considérées comme miraculeuses, il n'en garde pas moins extérieurement l'apparence des icônes typiques de la fin de l'art byzantin avec une série de bustes de saints dans le cadre.
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Cuenca, Cathédrale, Reliquare du despote Toma Preljubović, 1367-94, panneau avec la Vierge

Une sensibilité intense se dégage particulièrement du battant gauche. La Vierge et l'Enfant-Jésus, bien serrés l'un contre l'autre, font penser à la composition dite Vierge de Pimen, de la Galerie Tretyakov de Moscou.
La nouvelle conception des iconostases des églises orthodoxes de la fin du XIVe siècle a une forte influence sur le caractère de l'iconographie qui tend de plus en plus vers le monumental. Depuis les premières décennies du XIVe siècle, les espaces entre les colonnes des iconostases sont fermés par des icônes; à partir du dernier quart du même siècle, on met, au-dessus de l'architrave de marbre, une rangée d'icônes: au milieu on a une Déisis, avec deux archanges et, symétriquement et de part et d'autre, des apôtres. Le motif central, la Déisis, est en mosaïque ou peinte en fresque sur la partie centrale de la voûte au-dessus de l'iconostase, et ceci depuis le XIe siècle déjà (Sainte Sophie de Kiev et Sainte Sophie d'Ohrid). Au XIIIe siècle le thème iconographique de la Déisis descend sur la partie centrale de l'architrave de l'iconostase où elle n'est plus qu'une petite icône destinée à embellir la porte centrale ou porte impériale; cette icône de la Déisis en sopraporta est le point de départ de la nouvelle évolution. La longueur de l'iconostase et les dimensions des icônes déterminent le nombre de celles-ci. Parfois on n'y trouve que Saint Pierre et Saint Paul et les quatre évangélistes : dans cette forme réduite cette série d'icônes (appelée čin) comporte 11 pièces, alors que la série complète en compte 17. A Chilandari il reste, des 11 icônes d'autrefois, dix pièces monumentales représentant en buste: la Vierge, le Précurseur, deux archanges, Saint Pierre, Saint Paul et les quatre évangélistes. Bien travaillées et finement modelées, les têtes du »čin« de Chilandari font penser à l'icône de la »Réunion des Apotres« du Musée des Beaux-Arts de Moscou. Les pièces du »čin« de Chilandari et cette icône de Moscou appartiennent à l'école particulière de peinture monacale de Constantinople; elles reflètent une tendance archaïsante qui, semble-t-il, à partir du milieu du XIVe siècle, cherche de plus en plus à se rapprocher des solutions du vieux style monumental des années soixante du XIIIe siècle. Seule une lumière inquiète donne vie à cette peinture assez sombre aux couleurs foncées; la curiosité analytique de ses artistes lui fait mettre en valeur certains détails plastiques sur les formes épaisses, créant de la sorte l'illusion d'une atmosphère tremblotante obtenue par une lumière qui ne fait que s'allumer et s'éteindre sur les surfaces dures et polies des figures.
Ces reflets de lumière, échos tardifs d'une peinture plus libre, dégénèrent vers la fin du XIVe siècle en traits blancs ordonnés sévèrement d'une manière calligraphique. Les reflets blancs perdent complètement la valeur d'une illusion picturale et deviennent un moyen technique de modelage. Dans ce style froid et solennel d'où disparaissent même les dernières traces d'une expression artistique spontanée, on a la grande icône du Christ Sauveur et Source de Vie du monastère de Zrze; cette icône a été peinte en 1394 par le métropolite Jovan le Zographe, ancien maître de Zrze et chef de la célèbre école de peinture dont les fresques du monastère Andrejaš près de Skoplje sont la plus belle oeuvre.
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La grande icône du Christ Sauveur et Source de Vie du monastère de Zrze

Jusqu'à quel point le style du métropolite Jovan était-il en dépendance de la peinture monumentale byzantine de la fin du XIVe siècle, nous le voyons d'après une icône presque identique du Christ Sauveur des environs de 1363 et qui se trouve au Musée de l'Ermitage de Leningrad; c'est encore à ce même groupe qu'appartient une belle icône publiée récemment, représentant l'archange Michel, du Musée Byzantin d'Athènes.
Dans un style bien plus vivant, et qui s'appuie sur des modèles du début et du milieu du XIVe siècle, on a une icône intéressante du monastère de Poganovo, don de l'impératrice Hélène, femme de Manuel II Paléologue (1391—1425). L'impératrice, fille de Konstantin Dejanović, la seule impératrice byzantine d'origine serbe, a fait don, vers 1395, au monastère de son père, d'une icône assez exceptionnelle peinte des deux cotés. Sur la face on voit la Vierge et Saint Jean le Théologien: au dos, on a la représentation d'un miracle au monastère »de Latome« de Salonique. Le thème iconographique du dos de cette icône se retrouve dans la peinture monumentale très tôt déjà, et notamment sur la célèbre abside de ce monastère »de Latome«, puis, plus tard, dans l'ossuaire de Bačkovo (fresques du XIIe siècle) et, sous une forme quelques peu différente, à Lesnovo (XIVe siècle). En haut, au milieu, dans les sept cieux, on voit le jeune Christ-Emmanuel avec les symboles des quatre évangélistes ; sous le Christ, dans un paysage rocheux, sur les rives de la Chobar, à gauche, se tient Ezechiel; à droite on voit, assis et pensif, le jeune Habacuc qui tient un livre ouvert. Bien que les mots écrits sur la banderole que tient le Christ soient du prophète Isaïe (XXV, 9), toute cette scène, qui semble être une vision, se rattache cependant au début d'Ezéchiel (I, 1—28).
L'austérité du coloris en bleu, blanc et marron reste assez proche de la peinture de la fin du XIVe siècle, mais le trait libre, énergique, son inquiétude dramatique et les contrastes habilement employés rattachent cette icône à la tendance dominante de la peinture byzantine tardive, à ce style inquiet, expressif, qui fleurit, vers la fin du XIVe siècle en particulier dans la peinture des miniatures des Paléologues.
De cette peinture rafinnée, lyrique et sentimentale de la fin du XIVe siècle et des débuts du XVe, qui recherche les proportions fines, les mouvements paisibles et mesurés et surtout un coloris harmonieux, riche et clair, il nous est resté, dans les monastères serbes, quelques bonnes icônes.
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Beograd, Musée des arts décoratifs, St. Démétrius, début du XVe siècle

Deux d'entre elles se remarquent particulièrement : une icône de Saint Demetrius, qui se trouve au Musée des Arts Décoratifs de Beograd, et une autre de Saint Sava et de Saint Simeon, au Musée National de Beograd; toutes deux proviennent, apparemment, de Chilandari.
L'auteur de l'icône de Saint Demetrius, s'il est moins noble dans ses proportions, a, par contre, un coloris exceptionnel. Sa figure du jeune et saint guerrier, composée et dessinée habilement, ne s'appuie que pour sa première idée sur les modèles grecs. Tout à fait semblable de ce point de vue on a une icône grecque de Saint Demetrius de la même époque qui se trouve au Sinaï; la figure du jeune saint guerrier doucement placée sur la diagonale semble voler sur le fond doré, ses pieds touchant à peine la terre. Le peintre de l'icône du même Saint au Musée de Beograd, par contre, a construit une figure bien plus stable sur le croisement des deux diagonales: l'une, plus soulignée passe par le manteau, la lance, le bouclier, l'épée, le casque et l'arc; l'autre, plus discrète, passe par la massue et le carquois.
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Beograd, Musée National, St. Sava et St. Siméon Nemanja, début du XVe siècle

Ce saint guerrier serbe, moins élégant que l'autre, se distingue par un air plus sévère des fins saints byzantins, et il rappelle beaucoup quelque héros de chant populaire serbe d'autrefois.
Le peintre du petit portrait double des donateurs de Chilandari, Saint Sava et Saint Simeon, reproduit avec précision un thème souvent répété; il n'en réussit pas moins à donner, par son fin coloris, une idée des hautes qualités de l'iconographie serbe de l'école de la Morava.
La dernière icône datée et signée qui appartient encore dans une certaine mesure à l'art chrétien libre des Balkans est conservée au monastère de Zrze et représente une grande Vierge Pelagonitisa; peinte en 1422, elle est l'oeuvre de Makarije, frère du métropolite Jovan le Zographe. Cet artiste est membre de la même famille qui, à la fin du XIVe siècle et au début du XVe, peint pendant une trentaine d'années, en Serbie et en Macédoine. Et la personnalité, et l'art de Makarije unit en elles les traditions serbes et macédoniennes en un ensemble unique. Ce Makarije, qui sort d'une famille notable et douée pour les arts qui avait jusqu'en 1392/3 son propre monastère à Zrze, a peint en 1422 cette icône pour ses anciens serfs, alors qu'il revenait de Serbie où il avait peint, pendant les premières années du XVe siècle, des fresques au monastère de Ljubostinja pour le compte des fils de la princesse Milica.
Les anciens serfs de la famille de Makarije qui commandent à celui-ci cette icône, ne choisissent pas par hasard le motif de la Vierge Pelagonitisa: ils veulent, en effet, une icône qui est très appréciée en Macédoine. Bien que Makarije revienne alors de la Serbie de la Morava où fleurit à cette époque le style dit de la Morava, il peint à Zrze à la manière ancienne; sa manière dure, expressivement stylisée, s'écarte sensiblement aussi de la peinture de son frère Jovan. Peinte pour des serfs, cette Vierge Pelagonitisa de Zrze a déjà en elle, en effet, certains des traits de l'art paysan: la mère et l'enfant regardent fixement ceux qui viennent les honorer, avec deux paires d'yeux qui sont dirigés sur ceux qui regardent, comme pour vérifier, l'effet que produit leur air devant les naïves ouailles. Cependant, l'inscription votive de ces serfs pieux qui donnent à leurs femmes et à leurs filles le titre de »gospođa« (madame), est écrite en un vieux-serbe tout à fait correct et composée d'après une formule qu'employaient, au XIVe siècle, les nobles.
La galerie des icônes de l'art chrétien libre des Balkans se termine de la même manière en Grèce, en Macédoine et en Serbie avec des oeuvres aux qualités tout à fait semblables. Les événements tragiques des années des invasions turques coupent le souffle du vieil organisme de l'art byzantin: les formes se figent, les couleurs s'assombrissent, les schémas de composition restent prisonniers des vieilles solutions.
La seule nouveauté de la peinture d'icônes de ces temps troubles est l'icône imprimée. Très tôt, en effet, les Serbes adoptent l'art de l'imprimerie et, dès 1494, on les voit éditer des livres illustrés à gravure sur bois. Les premiers artistes graphiques serbes de la fin du XVe siècle et des débuts du XVIe, gravent des formes qui se distinguent par leur haute valeur artistique et leur originalité. Parmi les plus belles de ces icônes en xylographie on remarque surtout les premières oeuvres; leur caractère linéaire sévère et dur s'harmonise habilement avec le style du vieux dessin de la peinture d'icônes. Les icônes serbes imprimées vers la fin du XVe siècle et au début du XVIe offrent seules les mêmes renseignements sur les courants artistiques de la peinture d'icônes serbe de cette époque. Quelle que soit la mesure dans laquelle ces icônes xylographiées des incunables serbes dépendent du coté technique de l'imprimerie, elles reproduisent des modèles nés sous des conceptions très variées. Les plus beaux exemples sont certainement ceux qui nous offrent en fait une icône réduite à son dessin fondamental. Techniquement habiles, mais déjà assez troubles du point de vue du style, ces xylographies aux formes ombrées ont été faites comme des imitations graphiques d'icônes peintes, des originaux qui nous sont connus par la peinture d'icônes italo-grecques, et, plus tard, par celles de Crète.
Dans les premières décennies du XVIe siècle, la peinture d'icônes de l'intérieur des Balkans continue à vivre d'une manière plutôt végétative, isolée des courants vivants de l'art européen; elle se contente alors de répéter de vieux et respectables modèles. Avec les caravanes qui transportent les marchandises des régions balkaniques, entrent alors, surtout dans les régions serbes du Sud-Ouest, par le littoral dalmate, des oeuvres des maîtres italo-grecs. Les icônes de A. Rico et de E. Lampardos arrivent jusque dans les monastères serbes de Bosnie. Ces icônes sont appréciées jusque dans les confréries catholiques des petites villes dalmates où la peinture grecque est connue depuis longtemps. On trouve une galerie particulièrement riche de ces icônes de la Confrérie de la Toussaint à Korčula .
La peinture d'icônes serbe à l'intérieur des Balkans eut, de son coté, une histoire propre. Après le rétablissement de l'Église Orthodoxe Serbe avec la nouvelle fondation de la Patriarchie de Peć, en 1557, on voit apparaître, au cours du dernier quart du XVIe siècle, des maîtres peintres d'icônes qui ont leurs conceptions propres. Parmi eux, le plus remarquable est certainement le peintre principal attaché à la Patriarchie, le moine Longin, qui fut peintre, copiste et homme de lettres. Son art conservateur, fortement soumis aux influences des tendances littéraires, est plus intéressant du point de vue idéologique et théologique. Les figures sèches, longues et sérieuses de Longin sont inspirées des vieux maîtres de la peinture serbe du XIVe siècle; il n'en reste pas moins qu'il est le meilleur artiste quand il sait se libérer des modèles et quand il met ses formes stylisées, linéaires et dématérialisées au service de son art empreint d'intellectualisme.
Dans cet art ascétique, presque trouble, de la fin du XVIe siècle, il est très rare qu'éclatent des tons plus doux sur les iconostases solennelles à fond doré. L'artiste inconnu des icônes de Kučevište, qui se trouvent actuellement au Musée National de Beograd, coloriste exceptionnel, réussit à fondre la sévérité monacale de ses figures maigres et très ombrées dans une luxueuse polyphonie aux brillantes couleurs émaillées.
La routine du dessin retrouvée triomphe de nouveau alors dans les grandes icônes qui reçoivent sur leurs larges espaces les thèmes plus vastes de la peinture des fresques. L'icône du »Laudate Dominum« de Kučevište illustre dans tous les détails un cycle qui, dans la peinture des fresques, a recouvert des murs aux dimensions monumentales.
Particulièrement intéressantes sont encore quelques rares icônes serbes de la fin du XVIe siècle qui rappellent les oeuvres crétoises de la même époque. Dessinées en traits épais et malhabiles, sans aucun modelé, elles ont quelque chose, avec leurs larges surfaces plates, de la fraîche pureté des arts populaires naïfs.
Le plus grand peintre de la période de l'occupation turque est Đorđe Mitrofanović, moine de Chilandari qui se distingue particulièrement au cours des premières décennies du XVIIe siècle. Sa plus belle oeuvre, les fresques au réfectoire de Chilandari, appartient aux pièces les plus importantes de l'art post-byzantin. Connaissant bien la peinture grecque et la peinture russe de la fin du XVIe siècle, Đorđe Mitrofanović construisit un style original propre : il se libère peu à peu des modelés durs des peintures italo-grecques qu'il avait employées dans sa jeunesse; son dessin, léger, rapide et âpre, sans surcharge de détails, le rapproche de la peinture d'icônes russes, mais il ne passe jamais dans la stylisation. Ses coloris fins et doux, d'autre part, rappellent souvent les maîtres de la vieille école serbe de la Morava.
Mais les talents d'un seul artiste qui a essayé de faire entrer plus de lumière, de vie et de couleur, dans la peinture de sa génération n'ont pas été assez puissants pour diriger tout le développement de la peinture d'icônes serbe du XVIIe siècle vers des directions nouvelles. Les deux tendances de la peinture religieuse serbe tardive, la tendence monacale et la tendance populaire, allaient vers leur fin. Le style des peintres des monastères s'enferme peu à peu dans des compositions sévères, sombres, immobiles, d'une symétrie solennelle. La foi opiniâtre et fanatique en l'immuabilité et en l'éternité du dogme se cristallise particulièrement nettement en peinture de Peć de la fin du XVIIe siècle. Composée avec une précision quasi géométrique, sans la moindre trace d'influences artistiques »hérétiques« venant de la Renaissance ou du Baroque, l'icône du Concile Oecuménique provenant de Peć ne devrait jamais être comptée dans l'art abandonné des artistes sans information: elle représente un art concis dans sa pureté, défini par un dogme, sans compromis ni accord, et qui se meurt en s'en tenant aux principes de son esthétique. On pourrait dire, sans généraliser, que cet art du XVIIe siècle est non seulement le descendant le plus légitime des conceptions byzantines, mais aussi, vu dans son développement historique, le résultat final des conceptions de l'icône de la fin de l'Antiquité et de Byzance; ce n'est pas par hasard que cette peinture rapelle des oeuvres bien plus anciennes de l'art monacal byzantin en Asie Mineure.
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Beograd, Musée de l'Église Orthodoxe Serbe: St. Jean le Précurseur, 1645

A coté des artistes aux conceptions ascétiques, apparaissent dans l'art serbe du XVIIe siècle, souvent également des peintres qui embellissent leurs oeuvres d'une riche ornementation. L'artiste inconnu du buste de Saint Jean le Précurseur, qui se trouve actuellement au Musée de la Patriarchie de Beograd, a été, manifestement, un peintre expérimenté dans les iconostases décoratives ; on le voit se servir habilement de l'ornementation, styliser avec logique ses figures, sans pour autant tomber dans un formalisme vide; sa stylisation est une expression sublime de la valeur interne de ce qu'il peint; le texte sur une banderole au-dessous de cette peinture explique en paroles l'universalité sacrée du Précurseur fêté à la fois comme ange, apôtre et martyr.
Les dernières traces du vieux réalisme et de la conception concrète de la figure humaine se conservent dans l'iconographie serbe de la fin du XVIIe siècle exclusivement dans les icônes-portraits. Le portrait posthume du patriarche Pajsije, de 1663, garde complètement les conceptions du portrait du XIVe siècle. Autrement, les figures sacrées se transforment presque en visions éthériques. Les visages longs, maigres, aux grands yeux ne semblent plus vivre que d'une vie intérieure. Dans les régions qui sont exposées à la plus forte terreur, dans lesquelles les conditions de vie des habitants sont réduites au niveau de l'esclavage, on voit quand même, de temps à autre, apparaître un talent.
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Peć, Patriarchie, Ste. Paraskevi, avec scènes de sa vie 1728, partie centrale

C'est ainsi que l'artiste inconnu de l'icône de Peć représentant Sainte Paraskevi de 1728, s'en tient encore strictement aux vieilles traditions. Dans un coloris presque monochrome en vert-olive avec des accents jaune-or cet artiste a peint d'abord le champ central de l'icône d'une manière calligraphique; les lettres, les ornements de la grande auréole, le visage inspiré de la sainte et le jeu parfait des plis de sa robe modeste forment un ensemble stylistique à l'abri des nouvelles exigences artistiques qui, venant de l'Occident, ont déjà pénétré alors dans les régions septentrionales de la Serbie.
Dans les régions au Nord de la Save et du Danube, en effet, régions qui se sont remplies de nouvelles masses serbes après 1690, en dépit de toutes les conditions chaotiques du moment, on voit alors de gros changements jusque dans le domaine de la vie artistique. Dans la nouvelle classe bourgeoise qui adopte rapidement le train de vie et la culture occidentaux, la vieille icône balkanique ne peut plus survivre, et elle en est réduite à aller se réfugier dans le milieu plus modeste et retardataire des réfugiés paysans. Les couches supérieures et cultivées du clergé serbe au XVIIIe siècle rejettent dans leurs circulaires les activités des peintres d'icônes de la campagne: il est même interdit aux paroisses des campagnes de commander et d'acheter les icônes des »infidèles« et malhabiles barbouilleurs.
Cherchant à accélérer la renaissance culturelle des compatriotes, les métropolites de Karlovci se présentent comme les protecteurs des arts. En moins de cent ans, il se forme sur le territoire du métropolite de Karlovci une riche variante de la nouvelle iconostase serbe. Dans l'architecture vaste et claire, mais assez moyenne, des églises serbes du XVIIIe siècle apparaissent maintenant de riches iconostases de bois doré comportant plusieurs étages, avec des cadres luxueux et légers en style rococo qui, telles des dentelles d'or, séparent l'autel de la nef; ils portent des peintures qui, jusque vers la fin du XVIIIe siècle et bien que traitées dans le nouveau style, gardent en elles la valeur idéale et picturale de l'icône.
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Beograd, Musée de l'Église Orthodoxe Serbe , St. Georges, 1775-79, peintre Teodor Kračun

Les maîtres les plus connus de cette époque sont Teodor Ilić—Češljar (†1793) et Teodor Kračun († 1791) qui constituent les mêmes styles pleins d'effets dans lesquels se fondent harmonieusement les éléments de la vieille peinture et de la nouvelle. Le triomphe de l'Occident n'était qu'une apparence, en particulier chez Kračun. Vu de l'Est, Kračun semble, en effet, un occidental; vu, par contre de l'Occident, il apparaît sous son vrai jour comme un peintre d'icônes qui sait soumettre les éléments occidentaux du baroque et du rococo à la vieille conception de l'icône. L'Ascenssion de Kračun à Karlovci montre peut-être le mieux, combien le vieux style vaincu impose ses idées au style vainqueur. Malgré toute l'inquiétude baroque des témoins de l'Ascenssion miraculeuse: la Vierge, au milieu, immobile et surprise, les anges étonnés à côté d'elle, les apôtres, derrière elle, émus et, en haut, comme sur les vieilles icônes, le Christ dans les cieux, entouré d'anges. De semblables travestissements d'icônes en décor baroque se retrouvent nettement dans des icônes représentant certains saints. Le magnifique Saint Georges de Kračun à la cathédrale de Karlovci, revêtu d'un luxueux costume baroque avec une cuirasse brillante, ressemble à première vue à un saint baroque; cependant sa tête surprend: ce n'est pas celle d'un guerrier baroque. Saint Georges, par ailleurs, comme ses prédécesseurs sur des icônes, a les traits fins du héros duquel on exige une force de persuasion intérieure. Le Saint Georges de Kračun, moine en costume baroque, se présente cependant presque comme le représentant idéal de cette génération douée qui a su suivre la culture et l'art de l'Occident tout en gardant sa physionomie propre et la puissance de son contenu spirituel. Cette symbiose des piétés occidentale et orientale a été réalisée au dernier moment possible, juste avant la fin du baroque international qui était tout empreint des sentiments de conviction religieuse. Les nouveaux mouvements intellectuels et artistiques qui, en Occident, détruisent alors l'art religieux, porteront alors aussi un coup fatal à l'icône serbe dont la vie meurt avec le dernier art religieux d'Europe, dans les premières années du XIXе siècle.


Belgrade, 1961